Gabriela est déjà passée à quatre reprises sur le billard afin de redessiner sa silhouette. Pour cette Parisienne de 49 ans le recours à la chirurgie esthétique relève de l'évidence. Ses origines brésiliennes y sont sans doute pour quelque chose ! « Là-bas on va chez ce praticien comme chez le dentiste », précise-t-elle. Son chirurgien l'a donc accompagnée tout au long de sa vie, à commencer par une opération du nez peu après ses 20 ans. « Je le trouvais trop large, disgracieux. Ma mère m'avait dissuadée de le faire mais j'ai tenu bon. Après l'opération je me suis sentie plus belle, mieux dans ma peau. »
Dans la foulée, cette élégante célibataire s'est attaquée à sa poitrine. « J'étais plate et j'avais hérité des larges épaules de mon père. Bref, je ne me trouvais pas très féminine. Avec mes nouveaux seins le regard des hommes a tout de suite changé. » Et tant pis, si douze ans plus tard il a fallu remplacer les implants. « J'avais maigri, ma peau était devenue plus fine et on voyait les prothèses en transparence. Ca me gênait. »
RESPECT ENVERS LES AUTRES
À l'orée de la cinquantaine cette Franco-Brésilienne est passée tout naturellement au lifting. « Je faisais déjà du Botox mais ça ne suffisait pas. J'ai préféré ne pas attendre que les rides soient trop profondes pour intervenir sur le bas du visage. » Et ce n'est sans doute pas fini. « Je ne m'interdis rien pourvu que ça reste harmonieux. »
Pour Gabriela, cette attention apportée à son corps relève aussi du respect envers les autres. « On n'imaginerait pas aller à un rendez-vous professionnel avec une chemise froissée. Pour le physique c'est pareil. » En France, ce point de vue est encore un peu osé et Gabriela reconnaît volontiers que ses copines françaises sont loin d'être aussi à l'aise qu'elle avec cette pratique.
En 2016 la France n'arrivait qu'au 10e rang des pays « pratiquants » avec 518 000 interventions, loin derrière les Etats-Unis (4,21 millions) et le Brésil (2,52 millions). Mais les mentalités évoluent vite. Selon un sondage Ifop réalisé en 2018, une Française sur 10 aurait déjà eu recours à une intervention esthétique, majoritairement pour se faire refaire les seins. Et 14% des autres envisageaient de passer bientôt à l'acte.
DES IMPLANTS EN CADEAU D'ANNIVERSAIRE
Sans être un raz de marée, le mouvement est net et révèle une vraie démocratisation en cours. Les employés et les ouvriers font jeu égal - voire mieux - avec les cadres ou les professions intermédiaires supérieures, assure le sondage Ifop. Encore un marqueur social qui s'effondre ! De même, la clientèle rajeunit : 42% des Françaises qui se sont fait poser des implants mammaires avaient moins de 35 ans. Et même si on n'en est pas encore comme en Amérique du Sud ou aux Etats-Unis à offrir cette opération en cadeau d'anniversaire à des jeunes filles à peine sorties de l'adolescence, les interventions se pratiquent de plus en plus tôt.
Idem pour la lutte contre le vieillissement. « Aujourd'hui on commence dès la quarantaine, indique le chirurgien Vladimir Mitz. Tabac, soleil, alcool, stress... Les organismes sont soumis à dure épreuve. Les femmes veulent regagner les dix ans perdus à cause de leur mode de vie et revenir à l'aspect physique de leur classe d'âge. » Les demandes deviennent de plus en plus subtiles. « L'exigence sur les traits du visage augmente, précise sa collègue Thérèse Awada. On intervient sur des défauts de plus en plus mineurs. »
PLUS D'INTERDITS
Et, surtout, on s'attaque à de nouvelles parties du corps. En 2017, la plus forte croissance dans le monde concernait le... « rajeunissement vaginal ». « Les complexes à ce niveau sont de plus en plus fréquents car la société se dénude sur les plages dans les vestiaires, dans les magasins de sous-vêtements », note le docteur Vladimir Mitz dans son livre Pour ou contre la chirurgie esthétique (Flammarion).
La médiatisation de la pornographie et des actrices au sexe totalement épilé a fait le reste. Beaucoup plus exposée, cette partie du corps est désormais l'objet de toutes les attentions. « Chez les femmes plus jeunes, on intervient sur les petites lèvres trop proéminentes ce qui peut aussi créer une gêne fonctionnelle, explique le chirurgien. Chez les plus âgées, on s'efforce plutôt de repulper les grandes lèvres. » Plus d'interdits donc.
Enfin, les hommes s'y mettent aussi, timidement mais sûrement, ciblant d'abord les poches sous les yeux et les « poignées d'amour ». Ils représentent aujourd'hui environ 15% de la clientèle des praticiens.
UNE PRATIQUE ENCORE CONTROVERSÉE
Faut-il en conclure que la chirurgie esthétique se banalise ? Et qu'il sera bientôt inconvenant de paraître laid ou vieux ? À voir. Car cette pratique demeure toujours controversée. « Notre société a encore tendance à porter un jugement moralisateur à l'égard de toutes celles et ceux qui osent aller à l'encontre de leur nature en cherchant à s'auto-façonner », analyse la sociologue Anne Gotman, auteure de L'Identité au scalpel (Liber).
Il n'est qu'à voir la fascination du grand public pour les « ratés ». A fortiori lorsqu'il s'agit de femmes célèbres. Les lèvres trop gonflées d'Emmanuelle Béart, les visages trop lisses de Rachida Dati ou de Brigitte Macron... La presse ou les réseaux sociaux ne manquent pas une occasion de se moquer de tout ce qui peut paraître exagéré et trop artificiel. Vladimir Mitz y voit là une quête de réconfort pour celles qui n'ont pas eu le courage de passer à l'acte. Et qui ont beau jeu de persifler : « Elle aurait mieux fait de s'accepter telle qu'elle est plutôt que d'aller se faire charcuter. » Une réflexion d'autant plus partagée que l'air du temps est à l'écologie et donc à la célébration de la beauté « naturelle ».
UNE SOCIÉTÉ DE LA PERFORMANCE
« La nature est injuste, objecte le praticien. Certaines femmes vieillissent beaucoup plus vite que d'autres et ont les seins qui tombent dès 30 ans. » Pour lui, la chirurgie esthétique serait donc un moyen de remettre un peu d'équité dans le loto génétique. Même les féministes sont embarrassées. « La majorité y voit une forme d'aliénation pour les femmes obligées, une fois de plus, de se plier aux canons d'une société patriarcale, note Anne Gotman. Mais certaines la considèrent, au contraire, comme un levier 'd'empowerment' mis à la disposition de toute la gent féminine pour développer ses atouts. » Comme une façon de retrouver confiance et estime de soi. « Avec un coup de bistouri on peut parfois couper un complexe que des années de thérapies n'ont pas permis de traiter », affirme Vladimir Mitz. Quel que soit son âge.
Françoise a attendu d'avoir 66 ans pour passer à l'acte et se faire remonter les seins. « Je ne pouvais plus me regarder dans la glace, raconte cette secrétaire de direction à la retraite. C'était une décision personnelle. Mon mari me trouvait très bien comme ça mais moi, en revanche, j'étais frustrée. Je vivais très mal de ne plus pouvoir mettre de soutiens-gorge affriolants. Après l'opération j'étais euphorique. J'ai montré mes 'nouveaux' seins à toutes mes amies. Aujourd'hui je regrette de ne pas l'avoir fait plus tôt. J'envisage d'ailleurs de me faire retendre le ventre. Si ce n'était pas aussi cher - l'intervention m'a coûté 5 000 euros - j'en ferais encore plus. J'ai toujours rêvé d'avoir un corps sexy. Si la médecine le permet, je ne vois pas où est le mal ! »
Pas de doute, les mentalités évoluent. « C'est notre environnement qui pousse chaque individu à s'auto-façonner pour rester dans la course professionnelle ou affective », souligne Anne Gotman. Une analyse partagée par Thérèse Awada. « Il faut arrêter de faire comme s'il n'y avait pas de pression sur le physique, s'agace celle-ci. Nous vivons dans une société de la performance, et la beauté est un critère qui compte. Oser retoucher son apparence est un geste d'émancipation. Que toutes celles qui n'en ont pas besoin arrêtent de fustiger les autres. »
DES TECHNIQUES MOINS INVASIVES
Cette évolution a tout de même eu pour résultat de soumettre le corps au diktat de la mode. « Hier on réparait des disgrâces comme un bec-de-lièvre, un nez en chou-fleur ou des oreilles décollées afin de rendre le corps acceptable, rappelle Anne Gotman. Aujourd'hui on le façonne au gré des tendances de beauté physiques du moment. » Si la taille des seins a beaucoup varié, les fesses rebondies à la Kim Kardashian demeurent une valeur sûre. Côté visage, la mode est plutôt aux beautés slaves aux formes triangulaires, aux joues creuses et aux pommettes saillantes. Les progrès techniques autorisent, en théorie, toutes les fantaisies.
Mais les pratiques évoluent tout de même vers des interventions de moins en moins invasives. Le développement, depuis une dizaine d'années, de la médecine esthétique avec la généralisation du Botox (toxine botulique) pour redonner du tonus aux muscles et de l'acide hyaluronique pour combler les rides a permis d'éviter le recours systématique aux liftings. Dans ce domaine, on privilégie désormais des interventions plus légères et plus ciblées qui remontent les muscles et la peau en même temps. Moins de décollements et de grandes cicatrices, donc.
De même, on essaye d'éviter au maximum les corps étrangers. Le scandale des prothèses PIP en silicone frelaté a laissé des traces. L'année dernière encore, sept marques de prothèses ont été interdites car elles pouvaient favoriser, en de très rares circonstances, des cancers. Même parfaitement adaptés, les implants mammaires peuvent provoquer des coques fibreuses. D'où la tentation d'utiliser à la place, ou en complément, la graisse de la patiente. Une technique dite de « lipofilling ». « De grands progrès ont été faits dans le prélèvement et le nettoyage des cellules graisseuses, explique Vladimir Mitz. La limite c'est que 30% seulement des cellules réimplantées prennent. Sur des seins, on ne peut donc pratiquer que des augmentations d'un demi-bonnet par opération. » Mais la voie est ouverte à la chirurgie régénérative.
« MA VIE A FAILLI ÊTRE GÂCHÉE »
L'évolution des techniques ne met pas pour autant à l'abri de déconvenues. « Un chirurgien esthétique n'a pas d'obligation de résultat, met en garde le docteur François Perrogon, fondateur de l'Association pour l'information médicale en esthétique. Même en cas de ratage évident c'est au patient qu'incombe la charge de prouver la faute. » Pour la victime c'est un peu la double peine.
Alice, une commerciale de 33 ans, en a fait la triste expérience après une rhinoplastie réalisée il y a deux ans. Autant, d'ailleurs, pour corriger une gêne respiratoire que pour affiner un nez qui la complexait un peu. « J'y allais en confiance mais ce fut le début d'un long calvaire. Après l'intervention je respirais plus mal qu'avant. J'avais une grosseur sur le côté du nez qui le compressait. Charmant avant l'opération, le chirurgien s'est vite braqué, refusant de reconnaître l'existence d'un problème. 'Je ne suis pas Dieu, on a rétréci le nez, c'est normal qu'il y ait moins d'air qui passe', m'a-t-il rétorqué avec agressivité. J'étais abasourdie. Je culpabilisais, ça me rongeait moralement. J'ai envisagé de l'attaquer mais j'ai préféré consacrer mon énergie à trouver une solution. »
Après avoir vu une demi-douzaine d'autres praticiens qui lui ont proposé des devis entre 3 000 et 13 000 euros, Alice a enfin trouvé le courage de repasser sur le billard pour une greffe de cartilage. Aujourd'hui elle a retrouvé sa sérénité. « Ma vie a failli être gâchée », reconnaît-elle.
SAVOIR DIRE NON
Mais le plus souvent les insatisfactions ne proviennent pas d'erreurs chirurgicales. « Aujourd'hui les demandes de rectifications peuvent être tellement anecdotiques que le praticien est incapable de garantir un résultat, assure François Perrogon. Ce dernier doit en effet composer avec les aléas de la cicatrisation, variable d'une personne à l'autre. » Compte tenu des risques inhérents à toute opération, ce médecin milite pour qu'on réserve la chirurgie esthétique aux vrais défauts disgracieux.
« La noblesse de notre métier c'est de savoir dire non », confirme Vladimir Mitz. Récemment Thèrèse Awada a refusé de remodeler les pommettes d'une jeune femme de 20 ans. « Lors de l'entretien, j'ai compris qu'elle était en fait mécontente des injections réalisées par un autre praticien pour gonfler ses lèvres et qu'elle espérait ainsi rééquilibrer l'ensemble du visage, précise-t-elle. Je lui ai proposé d'attendre que les produits injectés dans les lèvres se résorbent. Par la suite elle m'a remerciée. » Mais tous les chirurgiens n'ont pas ce genre d'attitude.
LA FRENCH TOUCH
« Le vrai risque sous-jacent de la chirurgie esthétique, c'est de chercher à résoudre un problème psychologique par une transformation physique », observe la psychiatre Françoise Millet-Bartoli, auteur de La beauté sur mesure (Odile Jacob). « Pour parer à toute déconvenue, les praticiens devraient être à même de discerner si la demande de leur patiente intervient dans un contexte de crise psychologique, affective ou professionnelle. » Mais leur formation ne les y prépare pas réellement.
« Au final, en France, les demandes restent très raisonnables et cohérentes », note Thérèse Awada. Aux antipodes des Etats-Unis où la chirurgie esthétique est considérée comme statutaire et doit donc se voir, dans l'Hexagone on cultive, en règle générale, la discrétion. « Notre rôle est celui de 'l'homme invisible' », souligne Vladimir Mitz. Dans le milieu, on appelle ça aussi la « French Touch ».
A priori, pas de risque donc que demain toutes les Françaises se ressemblent comme des clones. Le développement de la chirurgie esthétique n'en consacre pas moins, plus que jamais, le corps comme support de communication sociale. Surtout, il entérine l'idée que celui-ci n'est pas donné une fois pour toutes à la naissance. Et peut être remodelé. par la simple volonté personnelle. À chacun de voir si l'on doit s'en réjouir. Ou pas !
01. Être bien au clair sur sa demande, quitte à se faire aider par un thérapeute.
02. Le faire pour soi et non pour faire plaisir à son compagnon/mari/compagne/femme.
03. Consulter au moins deux ou trois praticiens avant de se décider, sachant que les ORL, les gynécologues et les ophtalmologistes peuvent aussi être habilités à opérer dans leur domaine de compétence.
04. Bien mesurer les risques d'une opération en Tunisie, jusqu'à 50% moins chère, mais avec des possibilités de recours bien plus restreintes Et des risques d'attraper une maladie nosocomiale beaucoup plus importants.
05. Avant l'opération, ne surtout pas hésiter à évoquer la question du coût des éventuelles « retouches » en cas de problème post-opératoire. Le chirurgien n'a pas d'obligation de résultat. Et les recours se soldent rarement en faveur du plaignant.
Instagram a annoncé en octobre dernier qu'il allait retirer de sa plate-forme les filtres destinés à imiter les effets de la chirurgie esthétique. De la simple retouche à la métamorphose totale, ils permettaient de transformer son visage, et de le voir même apparaître avec les hématomes postopératoires... Ces outils ont favorisé le réflexe chez les jeunes utilisatrices de redessiner leurs traits à l'image de leurs idoles. Avec le plus souvent un visage de poupée, aux lèvres pulpeuses et aux pommettes saillantes comme celles de Kylie Jenner. On a même baptisé ce phénomène « visage Instagram ». Dans la foulée, aux Etats Unis, beaucoup de chirurgiens esthétiques ont vu débarquer des jeunes femmes munies de photos d'elles-mêmes déjà retouchées comme modèle d'opération. Pas sûr que la décision de la plate-forme suffise à enrayer le phénomène.
Augmentation mammaire : à partir de 3 500 euros.
Lifting facial : à partir de 4 500 euros.
Lifting abdominal : à partir de 2 500 euros.
Liposuccion : à partir de 3 200 euros.
Rhinoplastie : à partir de 3 000 euros.
(Ces tarifs sont variables d'un chirurgien à l'autre.), arial, sans-serif; text-transform: uppercase; cursor: pointer; height: 39px; float: right; font-size: 15px;" />